Bordeaux, “capitale tragique” de la France

En mars 1871, l’Assemblée nationale nouvellement élue siége au Grand Théâtre de Bordeaux où le gouvernement, s’est replié depuis 1870, après la capitulation de la France dans la guerre contre la Prusse. Elle y votera l’abandon de l’Alsace et de la Lorraine.

2 septembre 1870. Issue inéluctable de la désastreuse guerre mal préparée contre la Prusse, l’empereur Napoléon III, encerclé et capturée, capitule à Sedan. 


Napoléon III prisonnier amené au camp prussien – L’Illustration, Semaine du 10 septembre 1870

Crédit photo : Wikimedia Commons

Dès le 4 septembre, à Paris, la République est proclamée et un gouvernement de la Défense nationale formé. Composé de républicains modérés, tels Jules Favre et Jules Ferry, voire de conservateurs, comme le général Trochu, ce gouvernement promet de continuer la lutte malgré la dureté du blocus de l’armée prussienne que subit Paris à compter du 19 septembre, affamant la population.

Pour la première fois de son histoire, Bordeaux capitale de la France

Départ de Gambetta sur le ballon l’ « Armand-Barbès » le 7 octobre 1870.

Crédit photo : Wkimedia Commons

Léon Gambetta organise la résistance et quitte Paris en ballon le 7 octobre pour rejoindre, à Tours, l’antenne gouvernementale qui s’y était installée avant le blocus de Paris. Il y reconstitue alors trois armées (Nord, Loire et Est). Dès le 9 décembre, le gouvernement se replie ensuite à Bordeaux qui devient pour la première fois de son histoire, capitale de la France.

Au Grand-Théâtre

Le 28 janvier 1871, Jules Favre signe un armistice avec Bismarck. L’accord prévoit l’élection puis la convocation d’une Assemblée nationale qui devra décider si elle accepte ou pas une paix définitive. L’élection a lieu à la hâte le 18 février 1871 et désigne une importante majorité monarchiste. L’Assemblée, qui siège toujours provisoirement au Grand-Théâtre de Bordeaux, confie le pouvoir exécutif à Adolphe Thiers. Le premier président dans les faits, sinon légitimement, de la IIIe République est connu pour son conservatisme et sa volonté farouche de soumettre Paris. La ville rebelle n’est pas près de redevenir capitale. Le gouvernement de Thiers comme Bismarck s’en méfient comme de la peste.

Ambiance électrique à Bordeaux

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Élu député de Paris en 1871, Hugo suit la Chambre à Bordeaux où il démissionne un mois après.

Crédit photo : Maisons de Victor Hugo

Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les Bordelais et leur député-maire, Emile Fourcand, ne boudent pas leur plaisir. On s’amasse place de la Comédie pour acclamer Arago, Thiers, Grévy, Garibaldi, Gambetta, Clémenceau et même… Victor Hugo ! Incroyable brochette. Le 15 février, follement acclamé, le grand poète qui fait partie du petit quota des députés républicains qui siègent dans la nouvelle Assemblée, se retournant alors vers la foule, crie : « Vive la France ».

Hugo qui a débarqué la veille en gare de Bordeaux, avec ses proches et quatre domestiques, se plaint dans « Choses vues » de ne point trouver logis à sa convenance. La mairie lui procure un meublé au 37 rue de la Course, son fils Charles et la fidèle Juliette Drouet logeant non loin de là au 13 rue Saint-Maur, près du Jardin-Public. Gambetta s’est installé en face du Grand-Théâtre, au grand hôtel de la Paix. Thiers quant à lui, élit domicile au 6 de la rue Esprit-des-Lois chez M. Ducru, propriétaire en Médoc du château Beaucaillou.

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Juliette Drouet lithographiée par Alphonse-Léon Noël, 1832.

Crédit photo : Wikimedia Commons

La vie de château

Une « République enjuponnée »

Alors que Paris est assiégé et affamé, les députés en résidence à Bordeaux, si l’on en croit la presse d’alors, mènent une vie de château. Les restaurants chics sont envahis. Les journaux satiriques parlent d’une « République enjuponnée » tant nombre d’épouses (voire de maîtresses) foulent le pavé bordelais. Le Café de Bordeaux est à cette époque l’endroit très fréquenté où il faut être vu. « Le Tout-Paris s’y donnait rendez-vous. J’ai entendu là Louis Blanc faire des déclarations sonores en faveur de l’Alsace-Lorraine et Victor Hugo crier de tout cœur : Vive la République ! », écrira Henri Welschinger, homme de lettres, journaliste et historien.

« C’est là que la France va être exécutée. »

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L’Assemblée nationale siégeant au Grand Théâtre de Bordeaux, le 1er mars 1871.

Crédit photo : Archives de l’Assemblée nationale

On le voit, le politique-bashing ne date pas d’hier. Mais les députés travaillent aussi, sous les ors du Grand-Théatre qui les accueille ! Et cela n’a rien d’une partie de plaisir. Le poète Charles Baudelaire, alors journaliste parlementaire, campe le décor : « Imaginez une chapelle ardente ; on entre là, à deux heures, avec du soleil plein les yeux, et l’on tombe dans une salle éclairée par trois lustres. En bas, les banquettes rouges ; sur la scène, dont le rideau est levé, une tribune et une estrade tendues de draperies pourpres, au milieu d’un décor de salon. C’est là que la France va être exécutée. »

L’Assemblée vote l’abandon de l’Alsace et de la Lorraine

En effet, l’heure est tragique. L’Assemblée doit valider les conditions de la paix réclamées par Bismarck. Y compris l’abandon de l’Alsace et de la Lorraine. Le débat, houleux, a lieu le 1er mars. Le traité préliminaire est adopté par 546 voix contre 107. Émile Kruss, le maire de Strasbourg en meurt sur le coup. Quant à Victor Hugo, l’un des rares à voter contre, c’est à cette occasion qu’il prononce son visionnaire discours sur l’Europe : « Soyons la même République, soyons les États-Unis d’Europe, soyons la fédération continentale, soyons la liberté européenne, soyons la paix universelle ! », clame le poète. Le 8 mars, la séance est particulièrement houleuse car l’Assemblée veut invalider l’italien Garibaldi et Hugo se fait insulter pour avoir défendu celui qui est élu député d’Alger (département français).

Le poète va démissionner et regagner Paris où il enterrera son fils Charles, mort d’apoplexie le 13 mars 1871 dans le fiacre qui le conduisait au Café de Bordeaux. En plein soulèvement de la Commune de Paris, les insurgés vont escorter le convoi funèbre jusqu’au caveau familial du Père Lachaise.

Au revoir Bordeaux ! Bonjour… Versailles !

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Les Allemands à Paris, le 1er mars 1871.

Crédit photo : Musée Carnavalet, Ville de Paris

Déjà, les Allemands avaient obtenu de Thiers le droit de défiler sur les Champs-Élysées, le 1er mars 1871, Thiers ayant signé un traité préliminaire de paix avec le chancelier Bismarck. Au grand dam des Parisiens, qui avaient eu du mal à avaler la pilule. Alors, le 10 mars 1971, quand l’Assemblée nationale décide de quitter Bordeaux pour se transférer à Versailles, la ville des rois de France, Bordeaux retrouve son calme. Mais pas Paris. Cet ultime affront va contribuer à déclencher l’insurrection de la Commune de Paris, le 18 mars. Proclamée le 28 mars, elle finira le 28 mai, réprimée dans un bain de sang par les « Versaillais ».

Bordeaux, de nouveau « capitale tragique » en 1914 et 1940

Le 4 septembre 1914, pour la deuxième fois de son histoire, Bordeaux sera la ville de repli du gouvernement français en fuite devant l’invasion de Paris par les Allemands, avant de l’être de nouveau en 1940.